Le Cri du loup


PREMIÈRE PARTIE

 

Endormie et recroquevillée sur elle-même, Mila semble sereine. Elle rêve sans aucun doute d’errance, de liberté, d’aventure. La chaleur de sa fourrure et la douceur de ses ronronnements permettent à Sarah de se calmer. Assise sur le parquet, la fillette se caresse la joue, et sèche ses larmes encore humides. Il fait nuit, où serait-ce déjà le matin ? Difficile de savoir, en ce mois de janvier où les matinées sont aussi sombres. Elle tente de défaire la ficelle qui lui scie les chevilles, mais rien à faire, le nœud est plus fort qu’elle. Vite, un ciseau, un couteau, peu importe l’épaisseur de la lame, il faut qu’elle parvienne à se détacher avant qu’il ne revienne. Les oreilles de la petite chatte se mettent à trembler, ses poils noirs se hérissent, et son museau pointe vers la porte. Mila a entendu quelque chose. Des frottements, des pas. C’est lui. Il approche.

 

*

 

« - Un nouveau cadavre ? Non de dieu, c’est déjà le troisième depuis deux semaines ! Il s’agit de notre loup ?

- Ça m’en a tout l’air. Mêmes procédés que les deux derniers crimes : chevilles ciselées, nuque cassée, un organe en moins.

- Putain ! Quel organe cette fois-ci ?

- Le cœur, chef.

- Et je suppose que le corps était à moitié enterré dans le bois Dormoncourt ?

- Non à côté, dans le lac. Rapprochez-vous. Vous voyez là, dans sa gorge ? Ce sont des résidus d’algues. Morin va procéder à un examen des poumons pour connaître la cause de la mort.

- Vous pensez que le criminel a jeté la victime encore vivante dans le lac ?

- Nous allons voir ça, il est encore trop tôt pour l’affirmer.

- Il faut vraiment que l’on se magne sur cette putain d’enquête ! Merde ça fait trois ! Trois gamines ! »

 

Des photographies dans une main, une tasse brûlante de café noir dans l’autre, l’inspecteur Dumas n’en revient toujours pas. Trois jeunes victimes en à peine deux semaines. La première, Émilie, six ans, durant la nuit du réveillon. Il était un peu éméché quand il a reçu l’alerte. Lui-même père d’une petite fille du même âge, cet appel l’avait bouleversé. Les témoins étaient de jeunes adultes, ivres, assez abrutis pour fêter le nouvel an en forêt. La deuxième victime s’appelait Juliette, huit ans, découverte au même endroit par un chasseur, sept jours plus tard. L’enquête a révélé qu’il s’agissait du même criminel, en raison de son attrait pour le vol sauvage d’organes. D’abord le rein, ensuite le pancréas. Très vite, la presse l’avait baptisé « Le Loup ». Que c’est stupide songe-t-il, « Le Loup », allez savoir pourquoi.

 

« - Chef ! Le docteur Morin en est convaincu : rien dans les poumons, l’enfant était déjà morte avant d’être jetée à l’eau.

- Bien. Et que révèle le rapport du légiste ?

- Selon Morin la fillette doit avoir entre six et huit ans. L’équipe a entamé les premières recherches dans le secteur, et Besson est sur la piste des portés disparus. On se donne maximum trois heures pour identifier la défunte.

- Je vous donne une heure, pas une de plus.

- Ha et autre chose ! Le rapport révèle que la fillette était, comme les autres, en contact avec un animal avant de mourir. Des

poils noirs, incrustés dans ses ongles. Probablement un chat. On n’avait pas pris ce fait au sérieux jusque-là.

- Merci Jacob, revenez me voir quand vous aurez de nouvelles informations. Le plus tôt sera le mieux. »

 

La porte se referme, l’inspecteur Dumas se retrouve à nouveau seul dans son bureau. Il préfère travailler à l’écart, favorisant le calme. Le silence le pèse, mais la foule l’angoisse. Depuis son divorce, il ne voit plus personne, hormis sa fille, un weekend sur deux. Selon le juge, la petite est plus heureuse avec sa mère. Anita, trente-sept ans, infirmière libérale, remariée à un riche héritier Italien. « Plus heureuse avec sa mère, tu m’étonnes » se répète-t-il geignard depuis bientôt deux ans. « Dario Alberti, putain de bourge ! T’as volé ma famille. » Sa nervosité paralyse sa concentration. Inspectant avec fougue

tous les rapports légistes et photographies, le voilà agité et à deux doigts de renverser sa précieuse tasse, The Best Dad.

« Comment se fait-il qu’en l’espace de quinze jours, on n’ait toujours rien ? Pas un indice. RIEN. Le Loup ne peut pas être aussi futé. Je suis certain que ses erreurs sont sous mon nez. » Le point énergique de l’agent Jacob contre la porte ranime Dumas.

 

« - Oui entrez !

- Chef, nous avons identifié la gamine. Deux agents sont partis prévenir la famille. Il s’agit d’Emma Mercier, elle allait fêter ses huit ans la semaine prochaine.

- Pauvre petite. Vous avez fait vite, comment ?

- Elle était portée disparue. Chose étonnante, depuis trois semaines environ.

- Il s’agit alors de la première, et non de la troisième victime.Le meurtrier a voulu nous tromper en la cachant dans le lac. »

 

Alors que le doute s’installe dans l’esprit contrarié de l’inspecteur, un grand froid jaillit depuis la fenêtre. Les faibles rayons du soleil se sont éteint, et ont laissé place à un vent glacial. « Merde, il est déjà 18h. C’n’est pas avec cette putain de météo et ce ciel d’hiver que les hommes trouveront quoi que ce soit dehors. Je ferais mieux de rentrer, je serais bien plus lucide à la maison. »

 

« - Chef !

- QUOI ENCORE ?! J’allais justement partir !

- Anita… votre femme au téléphone. Elle souhaiterait vous parler. Elle a essayé de vous joindre plusieurs fois sur votre mobile

mais… elle tombe toujours sur le répondeur.

- Ex, Jacob. Mon ex-femme. Dites-lui de me rappeler demain, je n’suis pas d’humeur à arroser ses putains de plantes alors que Madame se dore la pilule en croisière !

- L’appel provient de la région. Elle dit que c’est important.

- Bon passez-la moi. »

 

La voix d’Anita est chevrotante. Entre bégaiement et sanglot, Dumas ne parvient pas à saisir les plaintes de son interlocutrice.

« - Calme toi Ani. S’il te plaît calme toi, je ne comprends rien.

- Elle… elle… elle a disp… disparu ! J’ai cherché dans tout le quartier, rien à faire !

- Mais qui ? Qui Ani, dis-moi !

- Ma fi… notre fille Bastien !

- SARAH ! »

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Poésie


23.03.2018

 

Non loin du quartier bohème de Praga,

Un mouvement de foule telle une guérilla

Progresse et bouillonne dans les ruines,

Évoquant sans peine la rage des Sabines.

 

Violentées et bafouées par des assaillants,

Ces femmes opinent tout en fécondant.

Aujourd'hui elles clament leurs libertés,

Tout du moins pour garder un semblant de fierté.

 

Leur corps n'est pas fatalement une boîte à poupon,

Et encore moins l'esclave de Néron.

Cependant un cercle dérisoire estime

Qu'un tel affrontement n'est autre qu'un crime.

 

Belles et valeureuses elles se sont battues.

Ces dames n'ont finalement rien obtenu.

Bien pires encore que des phallocrates,

Leurs détracteurs sont religieux et primates.

L'AGNELLE ÉGARÉE

 

Seule dans son coin, elle emmerde ses semblables,

Cette agnelle égarée a assez souffert.

Aucune attache et peu de soutien,

La queue baissée, elle erre loin du vacarme.

 

Mais depuis tout ce temps il était là,

Elle a dû le louper plus d'une fois.

Quand leur regard se sont croisés,

La bête a fait d'elle sa vulnérable proie.

 

Très vite elle le désire.

Elle veut goûter à tous les plaisirs qu'il lui offre.

Embrasser, toucher, caresser, que lui a-t-il fait ?

Elle est totalement droguée.

 

Passionnant et passionné, elle l'admire tous les jours.

Elle ne peut rien y faire quand elle le vois,

Quand elle pense à lui, ses pattes flagellent.

Le loup se rapproche, la serre et la prend.

 

La brebis ne se sent plus isolée,

Elle parvient à respirer.

Optimiste, la tête haute,

Elle est comblée de fierté.

 

LANGAGE DES FLEURS

 

J'ai dans mes pensées un furieux poison violâtre,

Un fléau qui s'éveille mais que je dois combattre.

Provenant des rives de la mer Noire, le colchique

Me procure des sentiments amers, mélancoliques.

 

Noyée dans une époque d'abomination

Dans laquelle succombe rudement la création,

Je vis dans l'austérité du temps présent avec effroi.

Que puis-je faire pour ignorer ce tragique émoi ?

 

L'amaryllis me révèle un message de victoire,

Son chaleureux murmure me permet de garder espoir.

Inconsciemment tu matérialises cette prophétie, 

Car ton souffle et ta chair enjôlent ma vie.

MACADAM JOY

 

Alors que mes cannes chancellent encore, 

Mes doigts effleurent chaudement ton corps.

Tel le valeureux boucanier décelant des joyaux,

Mon désir assouvi, jouit à présent d'un effet Placebo.

 

Ces notes qui bouleversent la pureté de ta partition,

Me permettent de saisir le chant de ta respiration.

Une exquise mélodie, un moment de volupté,

Un temps extatique gorgé de tranquillité.

 

Chassons l'idée que cet instant sucré ne dure,

Sache que j'ai aperçu un signe de bon augure.

L'efflorescence qui se beigne dans mon esprit,

Me fait perdre la tête en m'emmenant loin des intempéries.